Paulin Ismard était l’invité des INsolences d’Ernest hier après-midi. Cet historien, spécialiste de l'histoire antique, est déjà intervenu au lycée, avant la crise sanitaire. Ses travaux portent sur l’histoire politique et sociale des cités grecques, et plus particulièrement sur l’esclavage en Grèce antique.
Ancien élève de l’ENS de Lyon, agrégé d'histoire (2002), il fut maître de conférences en histoire grecque à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avant d’être professeur d'histoire grecque à l'université Aix-Marseille jusqu’à ce jour.
Membre de l'Institut universitaire de France depuis 2015, Paulin Ismard intervient régulièrement sur France Culture dans différentes émissions comme Le Cours de l'histoire, Concordances des Temps, ou encore La Fabrique de l'histoire ; en 2021, il a participé à la série documentaire Faire l'histoire sur Arte.
Son intervention au lycée portait sur l’ouvrage paru en 2021 qu’il dirigea : Les Mondes de l'esclavage. Une histoire comparée aux Éditions du Seuil, à l’attention d’élèves de 1ère (en lien avec les cours de français et de langues et cultures de l’Antiquité) et des élèves de Khâgne. Comme à l’accoutumée, l’amphi a également accueilli des auditeurs extérieurs.
Cet ouvrage est le résultat d’un travail collectif colossal consacré à l'histoire de l'esclavage dans le monde. Pendant 6 ans, il mit à contribution 70 historiens et historiennes de 15 pays parlant 5 langues différentes. La partie la plus difficile à rédiger et certainement la plus délicate du livre fut celle qui concernait la comparaison. Trois chercheurs se sont attelés à cette tâche : Paulin Ismard, spécialiste du monde grec ancien et coordinateur, Cécile Vidal, spécialiste des Amériques coloniales, et Benedetta Rossi, spécialiste du continent africain.
Avant d’entrer dans la présentation du livre lui-même et de sa genèse, Paulin Ismard donna des éléments de contexte et en vint rapidement à la problématique de la définition du terme esclavage. Si le mot est courant, sa définition est complexe selon le domaine par lequel on l’approche : historique, anthropologique ou juridique.
Il insiste beaucoup sur cette définition, car c’est à partir de qu’elle et ce qu’elle n’est pas,
de qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas, que des sociétés ont justifié ou justifient encore leur
recours à l’esclavage. La définition dominante – celle qui figure dans la Convention de
Genève du 25 septembre 1926 – est basée sur l’idée de propriété : la propriété qu’a un
individu sur la personne d’un autre. Même si elle est opérante, cette définition reste très
ethnocentrique car la notion de propriété à laquelle elle se réfère n’est pas universelle et
découle directement du droit romain – usus, abusus, fructus
. Elle est donc insuffisante
et ne prend pas en compte d’autres formes d’esclavage telles que le travail forcé (toujours
d’actualité dans certains pays) ou l’achat de la fiancée
en Asie.
C’est pourquoi la définition de l’esclavage se fonde plus récemment sur la mort sociale
,
c’est-à-dire sur l’exclusion de l’esclave de
toute appartenance à la société : exclusion communautaire, dés-identification, absence de tout lien de
parenté légitime.
Mais ces deux approches de l’esclavage ne sont pas exclusives l’une de l’autre : elles sont chacune plus pertinentes ou opérantes que l’autre en fonction du contexte.
Par conséquent, il convient de distinguer les sociétés esclavagistes des
sociétés avec des esclaves
. Alors que les secondes, que l’on peut
compter par milliers dans l’histoire de l’Humanité, ont simplement
recours à l’esclavage, les premières ne peuvent pas survivre sans
l’esclavage. Ce n’est pas une question de nombre : l’esclavage imprègne
ces sociétés, leur fonctionnement, leur culture. Il est déterminant et
surtout pas accessoire. A titre d’exemple, Paulin Ismard affirme que rien
de la société grecque antique sous toutes ses facettes ne peut être
expliqué ni compris si l’on ignore la place qu’y occupait l’esclavage ; il
faut scruter cette société à la lumière de l’esclavage. Même si ses droits
sont extrêmement réduits, l’esclave faisait partie de la famille.
C’est là le lien avec le fil rouge des INsolences 2022-2023 – l’esprit de famille.